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Une scientifique obtient le feu vert pour modifier le génome humain

Ce serait à peine exagéré d’affirmer que dans un bureau ordinaire de Londres le 1er février dernier, un petit groupe de scientifiques et de défenseurs de patients ont pris une décision qui pourrait changer l’avenir de l’humanité. Depuis 2012, des scientifiques font l’expérience de CRISPR-Cas9, un outil puissant qui agit comme un éditeur de l’ADN, qui leur permet de trouver et de corriger des mutations génétiques qui peuvent mener à des maladies mortelles. Maintenant, pour la première fois, un chercheur a le feu vert pour tester cet outil sur des embryons humains. Kathy Niakan doit débuter les essais à Londres au Francis Crick Institute d’ici les prochains mois.

Les scientifiques ont manipulé les génomes de plusieurs espèces animales, mais aucune étude sanctionnée n’a jusqu’ici été réalisée sur des embryons humains à l’aide de CRISPR. L’an dernier, au grand dam de certains scientifiques et éthiciens, des chercheurs chinois rapportaient avoir expérimenté sur des embryons humains, provoquant des appels pour un moratoire temporaire concernant l’utilisation de CRISPR sur les cellules souches, celles issues d’embryons humains, d’ovules et de sperme. C’est que, contrairement à d’autres techniques de modification des gènes, qui peuvent être maladroites, CRISPR est précis, efficace, abordable et, ce qui en inquiète plusieurs, facile à utiliser. C’est ce qui crée un précédent, à partir de la décision du 1er février dernier du Human Fertilisation And Embryology Authority (HFEA). C’est également ce qui rend cette décision si controversée. Selon la personne à qui l’on s’adresse, CRISPR peut être considéré comme un miracle médical offrant la possibilité d’aider à guérir des maladies telles que l’anémie falciforme, la maladie d’Alzeimer et même le cancer, ou encore un cauchemar annoncé de science-fiction.

Pour sa part, Niakan procède prudemment. Elle espère que sa recherche jettera un éclairage sur ce qui constitue un embryon en santé, ce qui pourrait mener à des connaissances qui pourraient prévenir les fausses couches et améliorer la fertilité. "Nous voulons comprendre la biologie qui permet d’avoir un embryon réussi" nous dit Niakan. "Maintenant nous avons une méthode vraiment efficace qui nous permet de faire des modifications précises à la séquence d’ADN. Ceci nous permet de poser des questions à propos des fonctions de chaque gène, et de celles qui sont requises pour un développement normal". Étant donné que la recherche se concentre sur le premier stade de développement, les embryons seront détruits après sept jours (un aspect qui rend certains inconfortables).

Le fait que CRISPR permette aux scientifiques de modifier de façon permanente le génome d’embryons rend certains nerveux. "Je ne pense pas que nous soyons prêts à ce stade-ci à modifier des embryons humains" nous dit J. Craig Venter, qui a contribué à compiler le génome humain. "Nous n’avons que peu ou pas de connaissance concernant l’influence du code génétique sur le développement. Nous comprenons seulement une fraction des gènes. Pour la plupart, nous avons peu ou pas d’indice quant à leur rôle".

Jennifer Doudna, professeur de chimie et de biologie moléculaire et cellulaire à l’Université de Californie (Berkeley), qui a joué un rôle important dans le développement de CRISPR, supporte l’étude de Niakan, mais seulement à cause que les embryons ne sont pas rendus à terme. "Je ne pense pas qu’il soit approprié ou responsable d’utiliser CRISPR pour des embryons qui seraient implantés chez des gens à ce stade-ci", dit-elle, ajoutant qu’il y a trop d’inconnus au sujet des effets à long terme de la manipulation des gènes humains.

Après tout, cette modification est permanente. Théoriquement, si on permettait à ces embryons de survivre, leurs modifications seraient transmises à leur progéniture. La plupart des éthiciens acceptent l’idée de modifier les gènes d’adultes afin de traiter leur maladie. Mais lorsqu’une modification génétique est effectuée sur un embryon ou sur des cellules germinales, telles que celles dans l’ovule ou le sperme, ces changements sont permanents. Ceci peut paraître génial si ces changements peuvent prévenir un cancer du poumon chez une personne, mais les scientifiques s’inquiètent que des changements permanents et héréditaires pourraient survenir avec des conséquences en aval qui ne sont pas comprises, en et encore moins prévisibles.

La manipulation du génome humain suscite des questions éthiques quant à quelles parties de l’ADN nous décidons de modifier. Par exemple, est-ce que les gènes, qui affectent la qualité de vie mais sans danger pour la vie, telles que l’asthme et les allergies, devraient être enlevées? Quoi penser, par exemple, de ceux liés à une propension à l’obésité, ceux qui donnent des cheveux roux et des taches de rousseur?

"Dès que vous faites de la manipulation génétique, vous créez une personne différente" dit Calum MacKellar, directeur de la recherche au Scottish Council on Human Bioethics. "Ce que vous dites, en fait, est que certaines personnes ne devraient pas exister et que d’autres devraient exister. Lorsque vous prenez cette route, vous vous approchez de l’eugénisme".

Les embryons que Niakan va modifier ne survivront pas au-delà d’une semaine, mais le fait que des scientifiques commencent à manipuler le génome de cellules germinales, avec un outil aussi efficace que CRISPR, signifie que des enjeux comme ceux-ci, doivent être discutés bientôt (où tracer la ligne). "Nous posons ces questions" dit MacKellar, "parce que ces possibilités approchent à grands pas".

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